Une histoire d’eau, de végétation, de bonnes volontés… et de crapauds verts
Venant de Strasbourg, on passe directement du quartier de la Montagne Verte à la ville d’Ostwald dans un paysage urbain continu. C’est lorsque les rails du tram quittent la rue du Général Leclerc et prennent sur la droite l’allée du Bohrie que l’on aperçoit deux petits bosquets de part et d’autre de la route, qui viennent interrompre la « minéralité » de la ville. De l’autre côté et dans le prolongement de cette allée, il y a la rue de l’Île des Pêcheurs dont le nom nous signale que l’on se rapproche de la rivière (l’Ill) formant deux beaux méandres qui bordent l’Est d’Ostwald. De ce côté-là, ce n’est plus un petit bosquet ou quelques arbres que l’on aperçoit bientôt sur la droite et de l’autre côté de la rivière, mais le début de la forêt d’Ostwinkel. Un peu plus loin, lorsque la route bitumée devient un chemin, on devine sur la gauche l’étang Gerig, une ballastière encore exploitée il y a deux-trois ans.
Aux abords de cet étang vit une population de crapauds verts. Les scientifiques nous apprennent, qu’avant de s’établir dans les parages de gravières, ce crapaud vivait à proximité de rivières comme la Bruche ou le Rhin, à une époque où les crues et décrues des cours d’eau favorisaient la présence de mares, nécessaires à sa reproduction. La dynamique de ces rivières favorisait aussi la présence d’un sol de sable et de gravier que cette espèce affectionne particulièrement. Il semblerait que le milieu que lui offrent les abords du Gerig lui réussisse bien : ni la proximité des constructions récentes d’immeubles juste à côté du plan d’eau, ni l’activité de la gravière ne l’auraient gêné. Cependant, des spécialistes du crapaud vert, à la suite de leurs observations, l’ont classé « en danger » sur la liste rouge des amphibiens menacées d’Alsace. Suite à l’assèchement de nombre de zones humides qui caractérisaient la plaine d’Alsace, il ne reste plus que deux zones dans lesquelles on trouve des populations de cette espèce, une dans le Haut-Rhin, une autre dans le Bas-Rhin, notamment sur la commune d’Ostwald.
A l’autre extrémité de cet axe qui va de l’étang Gerig à celui du Bohrie, se trouvent trois petites mares qui ont été créées, ou plutôt re-créées à l’occasion de la construction de l’écoquartier Les rives du Bohrie. Cette construction avait été autorisée sous condition de l’aménagement de ces mares pour préserver un environnement favorable à une autre population de crapauds verts observée non loin de là… Et cela a fonctionné.
C’est sur cet axe Gerig-Bohrie, qu’Alsace Nature a mis en œuvre la plantation d’une haie avec plusieurs objectifs et dans le cadre d’un programme national intitulé la Trame verte et bleue.
Une haie pour la Trame Verte et Bleue ?
A Ostwald, la plantation de cette haie en décembre dernier a fait suite à d’autres projets en faveur de la biodiversité, déjà réalisés. Voici ce que m’en a dit Corentin Calvez, salarié d’Alsace Nature et qui a mis en œuvre et orchestré ce projet :
« Alsace Nature et la commune d’Ostwald ont créé un partenariat en 2020 sur le sujet de la Trame verte et bleue (TVB). Un premier travail de diagnostic a été fait à l’échelle de la commune pour identifier les éléments constructifs de cette TVB pour ensuite réaliser des actions concrètes en faveur de la biodiversité et de l’environnement. Plusieurs plantations ont déjà été réalisées au cours des dernières années, à différents endroits de la commune avec un objectif commun, créer ou recréer des habitats pour ramener de la biodiversité localement. Ces projets sont financés par l’Agence de l’Eau Rhin-Meuse, la Région Grand-Est et la DREAL Grand Est. »
De quoi cette haie est-elle faite ?
Tout le monde sait ce qu’est une haie, mais celle qui a été plantée sur 275 m rue de l’Île aux Pêcheurs à Ostwald répond à des exigences précises, définies par ce réseau Trame verte et bleue, et à des préconisations soutenues par Alsace Nature. Mes échanges avec Corentin Calvez m’ont permis de saisir à quel point ce type de haie est pensé : on y trouve, du plus petit au plus grand, des buissons, des arbustes et des arbres. Lorsque les différents plants se seront développés, la haie présentera différents étages, différentes strates, disent les scientifiques, pour favoriser différentes espèces et donc un large spectre de biodiversité. Par exemple, certains oiseaux évoluent et nichent plutôt au « premier étage », celui des buissons – comme le pouillot véloce et le rossignol philomèle – et d’autres aux « deuxième ou troisième étage » – par exemple la mésange bleue et la grive musicienne. Il en va de même pour les insectes. La diversité des essences plantées fournira des espaces de vie intéressants et une variété de nourriture (pollen, fruits, etc.) utile à différentes espèces d’animaux.
Les végétaux plantés ont au maximum deux ans et répondent aux normes d’un label : Végétal local. Ce qui signifie qu’ils sont issus de graines produites par des végétaux qui ont poussé dans les milieux naturels de la région, donc bien « équipés » pour se développer dans cet environnement (sol, climat, etc.). Alsace Nature a fait appel à deux pépiniéristes alsaciens qui répondent à ce label, pour fournir les plants : la pépinière du Hanfgranva à Mussig et la pépinière Wadel-Wininger à Ueberstrass.
Quelles sont les essences de ces plants ? Parmi les arbustes, il y a par exemple le noisetier et le sureau noir, parmi les arbrisseaux la viorne lantane et le baguenaudier. En tout, 9 essences différentes. Pour se faire une idée de l’ampleur du chantier, 258 plants ont été mis en terre ce samedi-là, sur 275 m, et paillés avec des rouleaux de chanvre (produit compostable) permettant de maintenir l’humidité du sol nécessaire à la bonne évolution de chaque plant, et de limiter la concurrence avec les plantes herbacées.
En visitant le site du chantier de plantation, Corentin m’a rendu attentif à l’existence de noues entre de vieux et magnifiques saules sur le parcours de cette haie. Ces noues, c’est-à-dire des dépressions de quelques mètres de long dans le sol herbeux, permettent une accumulation d’eau lorsqu’il pleut, et favorisent donc une réserve naturelle d’humidité dans le sol. Elles ont donc été, bien-sûr, préservées, lors de ce chantier tout comme les vieux saules.
A terme, la mosaïque de milieux présents aux différents étages de cette haie le long de ce chemin constituera un environnement favorable à de nombreuses espèces avec des milieux plus ou moins humides, plus ou moins ouverts.
Et qui a planté cette haie ?
A propos d’humidité, les presque trente bénévoles qui étaient là ce samedi 9 décembre 2023 dès 9h30 pour concrétiser cette plantation pourraient vous en parler, puisqu’il s’est mis à pleuvoir à la mi-journée, une de ces pluies fines et régulières, de celles qui mouillent bien le sol (la terre était lourde et collait aux mains et aux bottes) et ceux qui sont en-dessous ! Il y avait aussi pas mal de vent, ce qui a rendu le fait d’être plusieurs heures dehors, un peu plus rude encore. Le repas de midi, offert par la commune d’Ostwald, au chaud dans les locaux de la mairie, était bienvenu ! Sans les bénévoles et leur persévérance (Corentin était stupéfait de leur efficacité), cette haie n’aurait pas vu le jour. C’est avec plaisir, et en ayant une pensée pour eux, que l’on pourra suivre son développement dans les prochaines années !
…et les crapauds verts dans tout ça ?
Dans trois ou quatre ans, la haie devrait s’être déjà bien développée avec certains plants qui dépasseront deux mètres. Elle deviendra dense et constituera une allée végétale favorable aux déplacements du crapaud vert. Elle devrait permettre, c’est un des objectifs, de faire se rencontrer les crapauds verts de l’étang Gerig avec ceux des mares du secteur Bohrie. Et ainsi favoriser un mélange génétique qui a tout son intérêt pour la conservation de l’espèce, un des objectifs forts fixés par le réseau Trame verte et bleue.
En se projetant dans le futur, on se représente plus concrètement cette notion de corridor écologique développée et soutenue par le réseau Trame verte et bleue. On imagine aussi plus d’ombre en été le long du trottoir et de la piste cyclable, une ombre dont profiteront le sol, les crapauds verts, de nombreuses autres espèces animales, et aussi les habitants du secteur qui auront le plaisir d’entendre plus d’oiseaux en se promenant, et même depuis leurs fenêtres.
Une question en suspens :
Lorsqu’on se représente cette haie dans quelques années et que l’on pense à ses fonctions écologiques, une question vient immanquablement à l’esprit. Cette réserve et ce vecteur de biodiversité, futur parcours de crapauds verts, est interrompu par des sorties de parking et par quelques routes, dont la rue du Général Leclerc, très passante. Ce qui présente un risque important d’écrasement des amphibiens par les véhicules (tram, voitures et deux-roues). Alors que faire pour éviter cela ? Il existe depuis de nombreuses années des tunnels à crapauds qui sont placés sous des routes ou des voies ferrées pour maintenir le passage habituel (saisonnier par exemple) des individus. C’est la mortalité, parfois très importante, constatée à ces endroits qui a fait concevoir ce type de solution.
Pour que cette trame verte et bleue que constituera cette haie d’ici quelques années puisse avoir tout son sens dans la préservation du crapaud vert, il pourrait paraître assez évident que l’on se penche sérieusement sur la question d’un tel aménagement.
S.FERRY