beau douglas


Le samedi 26 mai, une dizaine de membres d’Alsace Nature ont pu découvrir le mode de gestion des forêts publiques Alsaciennes grâce à la sortie organisée par le réseau forêt. Guidés
hors des sentiers par Marc-Étienne Wilhelm, animateur sylvicole à l’ONF, le groupe chemine entre les arbres.

Evrard de Turckheim et Marc-Étienne, tous deux membres fondateurs de l’association Pro Silva France, souhaitent présenter l’intérêt du mode de production durable prôné par Pro Silva. Pour y parvenir, l’intervenant a décidé de passer d’arbre en arbre, de parcelle en parcelle, afin de montrer à son auditoire « un maximum d’images ». Durant cette journée, il nous invitera à utiliser successivement nos cinq sens afin de comprendre par le ressenti, les différences entre les différents stades de maturité d’une forêt gérée selon les recommandations de « Pro Silva ». En effet, les 6000 forestiers du réseau Pro Silva Europe cherchent à atteindre un idéal. Cet idéal est désigné par l’acronyme SICPN ! Pour Sylviculture Irrégulière, Continue et Proche de la Nature.

Marc-Étienne WILHELM

Dès le 19e siècle, deux modes de gestion s’opposent dans la littérature forestière.D’un côté la gestion par « peuplement » et de l’autre, la gestion « individuelle » des arbres. Dans le premier cas, tous les arbres d’un même peuplement sont récoltés en même temps lorsque le diamètre moyen des arbres a atteint une valeur cible. Tandis que la gestion par individu après une phase d’amélioration par sélection de ceux qui ont la meilleure qualité, consiste à récolter les seuls arbres du peuplement qui sont arrivés à maturité, «sous forme de cueillette », en tenant compte, aussi, des interactions avec les arbres alentours. Pro Silva prône justement la gestion par individu. Une forêt gérée par peuplement est constituée d’arbres semblables, du même âge et de taille centrée autour d’une moyenne. La gestion arbre par arbre donne une forêt dite « irrégulière ». Irrégulière, car les arbres qui la composent sont dissemblables. Ils n’ont pas la même taille, ni le même aspect. La pratique de la « cueillette », parce qu’elle s’oppose à la radicale coupe rase, ne découvre pas brutalement le sous-bois. Cela permet de retenir l’humidité et la fraîcheur dans la forêt mais évite aussi aux jeunes arbres d’être soumis à la concurrence de la végétation herbacée et de pousser trop vite en faisant de grosses branches. C’est ce que les forestiers britanniques nomment la « forêt à couvert continu ». Marc-Étienne appelle aussi la sylviculture Pro Silva, « sylviculture invisible », car à la différence d’une coupe rase ou d’une récolte en quelques années d’une parcelle forestière, elle ne brise pas la continuité du paysage en faisant des « trous » à chaque récolte.

 
Pour désigner les deux grands modes de gestion, par arbre ou par peuplement, de façon plus imagée, il compare la sylviculture à l’agriculture. La gestion par peuplement est assimilée à la culture de céréales, tous les plants ont le même âge et sont récoltés en même temps. Alors que dans une forêt « irrégulière », les arbres n’ont pas le même âge et sont récoltés comme les tomates, en fonction de leur maturité. « On ne cueille jamais une tomate verte » dit-il en souriant. L’objectif de production de Pro Silva est d’obtenir des bois de gros diamètres et de bonne qualité, avec le moins de nœud possible.

Déjeuner face au Mont Sainte-Odile

Déjeuner face au Mont Sainte-Odile

« Comment reconnaitre une forêt gérée de cette manière ? »  

Vous saurez que vous vous trouvez dans une parcelle gérée par des forestiers du collectif Pro Silva si :

– Les arbres autour de vous ne sont pas alignés et ont des tailles différentes.

Marquage des arbres hôtes pour la biodiversité

Marquage des arbres hôtes pour la biodiversité

– Vous observez au sol des bois morts, ou des arbres morts sur pied. Ils servent d’hôtes aux oiseaux nicheurs, insectes, champignons et aux petits mammifères. Les arbres hôtes sont reconnaissables à leur marquage en triangle. Un tel arbre n’est pas destiné à être vendu, il sert d’habitat aux nombreux et divers êtres vivants de la forêt et alimentent la régénération des sols.
– Les essences sont diverses et mélangées.
– Il peut aussi y avoir de très gros arbres « patrimoniaux ».

Les forestiers qui suivent les recommandations de Pro Silva ne s’interdisent pas de planter mais n’en font pas une règle de gestion. Les forêts gérées de cette manière se régénèrent naturellement, les plus petits arbres prennent la relève des arbres récemment coupés. Jamais plus de 20% des arbres sont récoltés en même temps pour respecter la résilience de la forêt.
Et ce n’est pas tout, ils n’utilisent ni fertilisants ni produits phytopharmaceutiques, n’ont pas recours à l’OGM, prennent des mesures pour garantir l’équilibre forêt-gibier, ne franchissent pas les cours d’eau et les mares avec les machines d’exploitation, n’interviennent pas pendant les périodes de nidification, gèrent les lisères, pour qu’elles ne se ferment pas (car elles accueillent la biodiversité), et surveillent la santé et la vitalité des forêts.

Les dégâts causés par le labour des sangliers

Les dégâts causés par le labour des sangliers

Malheureusement la surpopulation des grands mammifères herbivores constitue, actuellement et depuis 40 ans, un obstacle à la réalisation d’une telle sylviculture. Les 2/3 des forêts alsaciennes sont dans l’incapacité de se régénérer naturellement en raison des abroutissements sur les semis naturels, suivis plus tard par l’écorçages des troncs de nombreuses essences forestières. Le sapin et le chêne sont les plus menacés.

Rappelons que l’Alsace possède un taux de certification PEFC de 74% en 2013. Ce taux est de 60% pour la Lorraine et 47% pour la Champagne-Ardenne. Soit 58% pour l’ensemble du territoire de la nouvelle région Grand Est. Il n’est que de 35 % au niveau national !

« La forêt n’est pas là que pour produire du bois. »

Le Grand Est est couvert à 34% par la forêt. Le taux de boisement est très inégal en fonction des

Pourcentage de la surface des forêts privées par région

Pourcentage de la surface des forêts privées par région

régions allant de 19% pour la Marne à 50% dans les Vosges ! La forêt privée représente 41% de la surface contre 75% en France. En Alsace, ce chiffre tombe à 25%. Les forêts alsaciennes gérées par les forestiers de l’ONF, en phase avec Pro Silva, ne servent pas uniquement à la production. Elles accueillent de nombreux usagers. Qu’ils soient chasseurs, vététistes ou randonneurs, les forestiers tentent d’accorder une place à chacun. La conciliation des intérêts de tous n’est pas toujours simples. Les forestiers jouent souvent les médiateurs entre des acteurs dont les objectifs sont antagonistes et qui ne sont pas disposés à faire des compromis.

Enfin, les forestiers évoluent et travaillent sur une échelle de temps très étendue et doivent anticiper aussi les futures attentes. « La société actuelle reproche aux forestiers du présent la gestion des forêts que les anciens forestiers ont façonnées selon les désirs de la société du passé » déplore Marc-Étienne. Il a la volonté de s’occuper des forêts de manière durable, sans œillères, en prenant en compte les multiples attentes, économiques, écologiques et sociales. Il l’affirme, « L’harmonie est une question de curseur et de perception ».

Une annonce :

Le Colloque de Pro Silva France « La sylviculture à couvert continu, un passé lointain,
un présent certain, un futur serein » aura lieu à l’Hôtel de Région de Strasbourg les 11-12 octobre.
– 11 octobre : Conférences – 12 octobre : Excusions forestières –
Programme et inscription à https://www.colloque-prosilva.com

Bon à savoir :

Gainage : Augmenter la densité des arbres amène de l’ombre autour de l’arbre d’avenir ce qui évite une forte « branchaison ». Celle-ci diminuerait sa valeur marchande du fait de la marque des nœuds des branches dans le tronc.

Lisières : stade intermédiaire à favoriser entre forêt et découvert qui accorde aux animaux une zone refuge et protège les premiers arbres de la force du vent et diminue ainsi le risque de déracinement (chablis).

Lierre : pendant longtemps celui-ci a été perçu comme un parasite des arbres alors que la liane ne fait que s’attacher à l’écorce du tronc sans se nourrir à ses dépens. De nos jours le lierre est préservé car ses fruits (petites baies noires bleutées) représentant un intérêt pour les oiseaux jusqu’à la fin de l’hiver.

Rémanents : Branches en dessous de 7 cm de diamètre laissées au sol pour apporter du carbone à l’humus et offrir des possibilités de refuge à la faune. Les bourgeons apportent de la nourriture aux oiseaux.

Bois mort sur pied et au sol. Sur pied il présente un intérêt certain pour les oiseaux cavernicoles (les pics) mais ne sera pas laissé le long des chemins car il représente un danger potentiel. Au sol, il favorise la présence d’insectes saproxylophages, dont les larves aident à la décomposition de la lignine. Cet argument doit être porté par les naturalistes pour contrecarrer l’idée d’une forêt qui ne serait « pas propre ».

Protection des sols : les lignes d’exploitation sont indiquées avec des marques aux arbres pour que les engins de débardages n’empruntent que celles-ci et ne tassent pas le sol à l’intérieur des parcelles.

Forêt de Protection : classée en Conseil d’Etat pour en protéger la surface de l’urbanisation, la récolte de bois y est toujours d’actualité.

Forêt en senescence : ilot d’une superficie de 2 à 5 ha laissé en libre évolution (sauf à prélever un arbre pour sécuriser un passage). Les arbres à maturité ne sont pas exploités pour les laisser s’effondrer d’eux-mêmes.

Chasse et droit local : les chasseurs paient un loyer aux communes, qui en reversent une partie aux propriétaires. De ce fait la chasse est devenue un loisir de prestige : la pratique de l’agrainage instaurée au début pour protéger les récoltes de maïs est accentuée en vue d’augmenter la chance de tirer pour les chasseurs invités, d’ailleurs ceux-ci n’ont pas forcément de lien direct avec l’écosystème (comptage, suivi des hardes et des dégâts) au regard des chasseurs qui sont affiliés à une ACA (association de chasse autorisée hors Alsace-Moselle).

Abroutissement : quand l’extrémité des jeunes pousses d’arbres et d’arbustes sont croquées par les cervidés. Pour comparaison les chevreuils mangent moins que le cerf et le daim.

Sources :

  • Site Pro Silva France
  • Enquête de branche – Scieries, 2014 et INSEE – CLAP 2015
  • Site PEFC (Program for the Endorsement of Forest Certification Schemes)
  • Inventaire Forestier National, campagne 2008 à 2012. Direction Régionale de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la forêt Grand Est

M.D