Le BTP doit se réorienter vers des projets utiles et sobres
Réaction d’Alsace Nature aux revendications du BTP, soutenu par la CCI
Chantage à l’emploi, appel à l’investissement et à l’endettement des collectivités, manifestations et blocages à bord d’engins de chantier… En exigeant une aide publique immédiate et en imposant une démonstration de force, le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP) révèle, au contraire, son infinie faiblesse et l’obsolescence de son fonctionnement. Dépendante de fonds publics en baisse, la filière a le plus grand mal, aujourd’hui, à réorienter ses activités vers des projets qui ont du sens.
Car, que disent les patrons du BTP, soutenus par la Chambre de commerce et d’industrie ? Que sans investissements publics, plus de chantiers et donc, plus d’emplois. Sans GCO (Grand contournement ouest de Strasbourg), sans routes nouvelles, sans zones d’activités à créer, sans grands projets immobiliers urbains, moins de chiffres d’affaires – qui se compte encore en centaines de milliers d’euros ! Peu importe si ces projets servent ou non les Alsaciens, il faut les faire pour donner du travail. Autant payer des ouvriers à creuser des trous, puis à les reboucher.
D’autant que, dans d’autres contextes, que scandent les mêmes patrons, relayés par leurs organisations ? « Moins d’impôts », « moins de taxes », « moins de dettes publiques » ! L’austérité, donc. Mais, il faudrait savoir, non ? Comment tenir un discours néolibéral, anti-Etat et anti-impôts, tout en défilant dans la rue pour demander plus d’investissements publics, qui ne peuvent être financés que par l’impôt ou l’emprunt ?
La CCI, qui se fait la porte-parole du secteur, va encore plus loin, demandant la suspension des clauses d’insertion dans les marchés publics ou le doublement des intérêts moratoires pour les retards de paiement. Evidemment, les (contraintes) mesures environnementales, édictées pour garantir un certain respect du bien collectif qu’est la nature et que sont nos ressources naturelles (eau, air, terre…), sont également dénoncées par le BTP et ses soutiens.
Tous les arguments, même ceux qui obligent à un grand écart idéologique des plus indécents, sont désormais bons pour nous imposer un système totalement dérégulé, une fuite en avant échevelée, sans autre logique que la vue court-termiste de quelques-uns, au détriment des intérêts à long terme du plus grand nombre. Cette logique est vouée à sa perte et il nous parait urgent et vital de l’enrayer au plus vite, en ouvrant enfin d’autres voies. Sans rentrer ici dans un débat sur le type de développement souhaitable et soutenable, nous sommes certains que la grande majorité de nos concitoyens savent au fond d’eux-mêmes qu’on ne s’en sortira pas avec les recettes du passé – qui nous ont conduit à la crise structurelle que nous connaissons. Repartir tête baissée dans le modèle des trente glorieuses reviendrait à accélérer dans une impasse !
En effet, il nous apparaît à nous, membres d’Alsace Nature, fédération des associations de protection de la nature et de l’environnement en Alsace, que le secteur du BTP, fort de ses compétences techniques, humaines, doit aujourd’hui redonner du sens à son activité. Notamment, il ne doit plus être question de construire un GCO qui ne réglera ni les bouchons, ni la pollution autour de Strasbourg, pour donner du travail aux entreprises pendant 3 ou 4 ans, hypothéquant à long terme la possibilité, pour le territoire, de produire sa nourriture et de conserver les aménités propres à tous espaces non-artificialisés. Projet du passé, le GCO laisserait à nos enfants un passif insupportable.
Il est important, au contraire, de mobiliser ces compétences, sur fonds privés ou publics quand nécessaire, pour améliorer les équipements collectifs (transports en commun, pistes cyclables…) ou pour travailler à la rénovation thermique de l’immobilier ancien. Le secteur doit également adopter d’autres pratiques, par l’utilisation de matériaux biosourcés, issus de ressources renouvelables, par un recours plus modérés aux engins énergivores, etc. Dans un contexte de crise climatique toujours plus aigu, et avec la COP 21 qui se réunit à Paris cette année, cette réorientation de la filière est plus d’actualité que jamais.
Alsace Nature, qui se bat pour la préservation de la nature, si indispensable à l’homme et à toutes les autres espèces, appelle ce secteur d’activités, comme d’autres, à réfléchir au pourquoi de la crise structurelle qu’il vit. Nous ne pourrons pas construire indéfiniment des routes. Il est temps d’inventer autre chose, pour un avenir plus sobre et respectueux du vivant – humain compris.