Il y a peu de contes contemporains constatait en décembre Marie Flore qui est conteuse. Marie Flore et Jean Marc, son époux, sont des amis de la première heure. J’ai ouvert mon bossoir magique sur trois ingrédients indispensable : une date, un drame contemporain, le petit coup de griffe de « Jojo », et voilà…
 
M’octroyant l’une de ces ballades qui force l’inspiration de tout poète breton, j’ai fait il y a une quinzaine de jours dans le petit square du tribunal d’instance l’une de ces rencontres qui donne le la aux clés de sol des partitions de mes « échos ». Je me suis entretenu plutôt longuement avec l’une des créatures ailées du bon Dieu, un oiseau petit, farouche, d’ordinaire solitaire, un grimpereau des jardin…
De cet oiselet arqué, je tiens ce qui suit et ce que j’ai écrit, ainsi l’ai je entendu, Nous sommes un 14 février…
Elle, c’est Valérie, c’est du moins le prénom qu’elle donnerait si vous le lui demandiez. Ne jamais donner son vrai prénom est l’une des innombrables règles qu’elle a apprise dans la rue. Elle s’appelle en fait Sophie, Valérie étant son deuxième prénom. Trente cinq ans, joli visage, longue chevelure auburn, de grands yeux couleur « huître » qui naviguent selon l’humeur entre le vert des eaux turquoises et le gris des mers agitées. Valérie aime des mers qu’elle n’a encore jamais vues. Quand elle rêve c’est en blanc-écumes, c’est en bleu-océans, c’est en rose rougeoyant, Valérie rêve de soleils couchants.
Valérie c’est avant tout un sourire qui habituellement s’étire XXL lorsqu’un passant prend le temps de croiser son regard.
Les éclats des sourires et regards perdent encore un peu de leur intensité lorsqu’une pièce tombe dans l’accessoire indispensable : le petit panier d’osier.
Le sourire se crispe, le regard s’assombrit, Valérie balbutie un merci embarrassé. Valérie n’a pas encore touchée le fond. Elle reçoit résignée.
Assise sur une couverture rêche volée dans un hôtel de gare miteux, elle fait la manche à l’angle de la rue St Nicolas et la rue des têtes.
A côté du panier elle a affiché à même le sol le poème d’un inconnu trouvé dans une corbeille à papier près de la gare. Le poème lui a plu, il lui ressemble.
Quelque chose de tristement beau, chiffonné, froissé, jeté à la poubelle. Ce poème gît à ses pieds un peu comme une bouteille lancée à la houle mais que
les flots renvoient. Un peu comme une bouteille lancée à la foule qui ne s’en émoi.
Comment peut on se retrouver sur le bitume à 35 ans ?
Les parcours bien qu’ils soient multiples et complexes se rejoignent sur deux points communs. Le manque d’affection et le jeté d’éponge. Je n’ai plus la force, je ne veux plus jouer, je déclare forfait, je rend mon ticket. Statistiquement, plusieurs dizaines d’ados disparaissent chaque jours en France, un grand nombre sont des fugueurs de courtes ou moyennes durées. Ils sont de plus en plus jeunes. Ils s’affranchissent. La « liberté » les attend à bras ouverts. Parfois l’enfer.
Elle a 11 ans la première fois qu’on la chiffonne, qu’on la froisse et qu’on la jette.  « Il » est entré dans sa chambre tard dans la nuit, saoul comme d’habitude. La maman est couchée abrutie de médocs, c’est la solution qu’elle a trouvée pour éviter les tabassages en règle depuis que le papa n’est plus là, incarcéré à Fleury. « Il », c’est son demi- frère, 16 ans, culturellement déficient, un molosse ultra violent désoeuvré, abonné aux jeux vidéos, aux sites, films et revues qu’un ado ne devrait pas voir, pas lire, mais que les jeunes se refilent dans les dédales des « couloirs » qui relient les tours de la cité entres elles. Une violence « trasch » qu’une société d’ailleurs, à bien réfléchir, ne devrait ni produire, ni consommer, mais interdire. Certains responsables politiques ont osé chercher la censure, ils s’y sont cassés les dents, brisés les reins. Cette industrie influente qui génère énormément de profits est malicieusement implantée. Les pressions sont très fortes et les réseaux puissants. Au plus haut lieu, au vu des implications de certains, on préfère prudemment fermer les yeux, les scandales font désordres et déstabilisent les voix électorales… Omerta…
Les petites victimes ? On ne les oublie pas. Des structures sont mises en place, ça fait partie du prix à payer.
C’est ainsi qu’après avoir été intimement brutalisée pendant huit mois, Valérie, en miettes, brisée, est récupérée par la Dass, placée dans la ronde des foyers et des familles d’accueils. Quelques écarts de conduites l’attendent, il y aura les fratries « rebeu rebelles » puis le grand amour dans une association de banlieue parisienne, son bel éducateur…
Mais Valérie cumule sur le grand jeu de l’oie de la vie les mauvais jets de dés : le prince charmant ne l’est pas. L’animateur social indélicat est interpellé un matin à l’aurore par la Brigade de Protection des Mineurs. L’on parle de vidéo saisies, des personnalités seraient impliquées. En deux temps, trois mouvements le type est incarcéré, le dossier bouclé, le scandale évité. Les commentaires, commérages, murmures et oeillades qui lapident plus sûrement que des pierres vont cependant bon train. Valérie est salie, Valérie a 15 ans…
Première tentative de suicide.
Hospitalisation, l’évasion, la rue de nouveau, les bandes, les galères, vols, arrestations, mal être, TS, centres, squats, addictions, un petit tour chez les
« Emmaus » après une désintox sévère…
Valérie gagne le gros lot : une clochardisation précoce.
Paris, Nancy, Strasbourg, Colmar…
A 35 ans, elle ressemble au poème de son magasine, Valérie.
Quelque chose de beau chiffonné, froissé, jeté…
En cet après midi du 14 février, Valérie a le cafard. Chaque pore de sa peau exhale les relents acides symptomatiques de la parano et du désespoir. Son cerveau coule à pic dans les déclinaisons de conjugaison de verbes. Pas n’importe lesquels. Mourir, périr, vomir, partir…
Les propositions avilissantes du passant de tout à l’heure qui voulait la « croquer » n’ont rien arrangé. C’est pas le premier, c’est pas le dernier. Fonctionnaires, cadres, ouvriers, chômeurs désoeuvrés, mateurs amateurs, photographes du tordu, gros, maigres, bruns, roux. Elle collectionne les prédateurs, les désaxés, les délinquants de la chair. Des jeunes s’y mettent aussi parfois, histoire de rigoler. Une fille de la rue, c’est de la fille facile, ça « chauffe » les malades du vice. Elle devrait se réjouir d’intéresser encore les « ogres » la rassura une copine qui défendait probablement son propre statut de racoleuse.
Quand on ne te fera plus des propositions de trottoir, ma vieille, c’est que t’auras rejoint le dernier étage, celui du caniveau. Tu seras mure pour concourir à l’élection « miss France des cloches ».
Bon sang ce que vivre lui fait mal aujourd’hui.
Elle aimerait bien voir débouler ce jeune homme apaisant aux yeux bleus, cheveux blonds, lunettes rondes, malhabile et timide. Toujours fagoté d’un velours élimé, d’une écharpe démodée, d’un sempiternel pull-over vert, l’on dirait un prof de philo ou de lettres des années 70. Il n’a d’autres sujet de conversation que celui des oiseaux. Elle a appris à distinguer à ses côtés les différents passereaux des villes. Elle sait à présent reconnaître quelques chants… Il lui a surtout appris, en les regardant, à échapper à l’emprise trop grise, trop noire, de sa morosité quotidienne. Mentalement elle sait grimper sur leurs ailes, elle sait monter sur leur dos, elle sait se soustraire au monde des hommes. Le jeune homme sympa lui a montré comment procéder, comment en pensée s’installer, comment leur parler pour les chevaucher au dessus des toits. Comment les aimer pour qu’ils vous trimbalent hors de là… Même le plus minuscule d’entre eux, l’hyper actif troglodyte mignon, l’a plus d’une fois fait quitter le béton !
Le troglodyte c’est le Géronimo local, impossible de le confondre avec un autre. Sa queue est dressée presque en permanence verticalement telle une plume d’aigle. Son oeil est barré d’un bandeau jaunâtre ou blanchâtre, c’est sa peinture de guerre. Son chant belligérant sonne avec une clarté peu commune, nul intrus n’a le droit de pénétrer son terrain de chasse ! Je crois que le troglodyte est un Chef Apache qui s’est exilé des Amériques ! Tu notera que tous ses cousins sont amérindiens … !
Sympa et un peu toqué ce jeune homme qui vient ainsi chaque jour tous les matins depuis Noël s’asseoir quelques minutes tel un bon copain. Il parle plumes, il cause nids, il l’embrouille à coups de trilles et vocalises avec une implacabilité évidente !
Et ça marche, elle « kiffe » ! D’où sort il ce gars ? Pourquoi vient il ainsi, que veut il au juste ? Elle n’en sait rien. Où vit il ? Que fait il ? Elle ne le lui a jamais demandé.
Elle a peur de rompre le charme…
Peut être vient il par compassion ? Qu’importe, ça lui fait du bien d’avoir le sentiment de ne pas être perçue pour ce qu’elle est devenue.
…Contrairement à ce que l’on pense, le Condor des Andes n’est pas le plus grand oiseau du monde, la palme d’or revient à l’Albatros Hurleur, 3 mètres 70
d’envergure. Le seul oiseau capable de voler en continu ! Le meilleur planeur de l’avifaune ! Le voilier céleste le plus calme au monde ! Un seul bruit dans tes oreilles : la caresse du vent qui te porte vers l’infini !…
Aujourd’hui il n’est pas passé. Aujourd’hui, il ne passera plus.
En cette fin d’après midi du 14 février, jour de la St Valentin, Valérie est seule. Ça lui fait un mal de chien, là, au dedans, dans l’âme. Valérie a envie de se foutre en l’air. La foule autour d’elle, indifférente comme d’habitude, semble ne pas la voir. Comme d’habitude, la foule s’affaire avec l’empressement des gens qui ont une vie, le stress de ceux qui mènent une existence.
Mieux que d’habitude : c’est la saint Valentin ! Le jour des amoureux ! Les hommes bien sapés et les femmes bien parfumées ont fait le bonheur des
restaurateurs, fleuristes et vendeurs de bijoux.
Rubis et diamants pour les plus aisés, pacotilles pour les moins munis. Qu’ils soient très vieux, vieux, moins vieux, voir jeunes, leur présent a un avenir
conjugué à deux.
Son encyclopédique jeune homme ne viendra pas aujourd’hui. Lui aussi bien entendu doit être pris…
Elle, elle n’est rien. Elle n’a rien. Elle ne ressemble à rien. Un passé pour présent.
Pas d’avenir…
C’est du moins ce qu’elle croit.
Ce qu’elle ignore en cette après midi du 14 février, il est 15 heures, c’est qu’en s’emboîtant les uns aux autres plusieurs éléments circonstanciels vont remédier à cela.
Le premier c’est le passage d’un monsieur endimanché dégarni et rondouillard qui lui remet une brochure bleue ciel intitulée « les souffrances cesseront-elles un jour ? ». Elle accepte la brochure parce que le quinquagénaire semble doux et bienveillant. On a beau être au bout du rouleau, on se prête encore parfois le luxe de faire plaisir. Bon, en matière de bon Dieu, cela fait longtemps qu’elle y croit autant qu’au père Noël. Le bon Dieu s’il existe doit être d’une autre sphère. Le monde où elle vit, elle, est sale et sans pitié. Tu tombes, tu crèves…
L’homme s’attarde un peu raisonnant sur « pourquoi Dieu permet il les souffrances… ». Il s’est accroupi pour se mettre à sa hauteur, au plus près de la
misère, peu le font. Il cherche les paroles qui réconfortent, distille cette paix qu’il dit tenir de l’évangile du christ. Il se redresse, les jambes lui font mal, c’est l’âge lui a dit le toubib, il rouille… Finalement il s’en va lui promettant de prier pour elle. Ne perd jamais totalement espoir, crie, appelle, tempête, pleure, mais surtout je t’en supplie, ne perd pas l’espoir… L’amour triomphe toujours, je veux croire en cela… L’amour est triomphant.
Elle le regarde disparaître, il s’en va, la conscience nette, tant mieux pour lui.
Elle pose la brochure derrière elle. Dieu, elle y croit pas.
Pourtant moins d’une heure plus tard, on la retrouve dissimulée derrière un pilier de la collégiale Saint Martin priant ce « père » inconnu de la secourir et pleurant toute l’amertume qui empoisonne son coeur et emprisonne sa vie : une carapace lourde de rancoeur. Une vieille dame lui donne des kleenex. Ce sera la seule qui se souciera d’elle. Les autres font des photos, commentent en toutes les langues telle sculpture, tel tableau, tel relief. Deux gamins s’engueulent. Un téléphone portable sonne. Les flashs crépitent. C’est pas une église, c’est un musée, la prochaine fois j’irais dans un cimetière ça sera plus calme. Personne ne lui prend la main, personne ne lui tapote amicalement l’épaule, le miracle qu’elle attendait peut être n’a pas lieu, elle s’en effondre de plus belle. Lorsqu’elle ressort de là un peu plus tard, c’est à dire une éternité, à défaut d’être libérée, elle se sent « zombi », totalement vidée. Sur le parvis un vieillard tout ratatiné et voûté l’interpelle, sa voix est calme et claire, son oeil est vif, il se dit capucin. Un petit frère de Saint François
d’Assise qui était pauvre parmi les pauvres et aimait lui aussi les oiseaux. Il lui confie un écrit du fondateur de l’ordre qu’il recopie rapidement sur un billet avant de s’éclipser : Père saint, roi du ciel et de la terre, ne t’éloigne pas de moi car l’épreuve m’accable et personne pour me secourir… Le vieux a du charisme, les mots pénètrent son coeur, se gravent en sa chair.
Elle marche au hasard des rues, hagarde, errante, vannée. Elle doit avoir une sale gueule, pour une fois on la regarde. Le rimmel bon marché a du couler et doit lui barbouiller les joues. Mais qu’est ce que tu foutais dans cette église ma vieille, tu débloques ? T’es cinoque ou quoi ? Il t’a bien retourné l’autre cinglé rondouillard
avec ces prêches de cureton. Les pensées s’entrechoquent dans son crâne. Elle tient serrée entre ses doigts le billet du capucin. Drôle de confident. Elle longe la rue des augustins, passe le Tribunal d’instance, suit la petite Venise, remonte la rue de blés. Son corps continue de déverser par hoquets des éruptions de pleurs. Un vrai volcan de douleurs.
Une pensée incongrue au travers de deux flots de larmes : sur les 60% d’eau que contient notre corps combien de litres peut on pleurer ?
Lui arrachant un cri de surprise, deux bolides bruns roux, hymne à la joie inattendu, lui passent au raz du nez pour aller se coller sur le tronc crevassé d’un arbre dans un jardin en contrebas. Dotés de becs effilés et légèrement incurvés, cramponnés tels des pics en une allure arquée bien calés sur leur queue, ils remontent le tronc et se poursuivent en spirales. Elle ne se souvient pas d’avoir vu auparavant pareils oiseaux. A bonne hauteur, les deux boules de plumes se laissent tomber dans une trajectoire verticale vers la base d’un autre arbre se redressant au dernier moment pour reprendre une ascension effrénée du bas vers le haut.
Elle les suit des yeux de branche en branche puis marche à leurs côtés de tronc en troncs, accélère le pas lorsqu’il s’échappent plus loin… Pas facile de les pister ces avatars de « fées clochettes », ils se confondent aux aspérités du bois. L’on dirait deux petites souris dissimulées sous un camouflage d’écorces ! La pétulance des deux passereaux exerce un effet subjuguant, énergisant, presque dopant. Mais voilà que tout à coup, passant au dessus d’un muret, ils disparaissent dans l’espace verdoyant d’un grand jardin de la rue voisine. Valérie court, contournant rapidement les deux dernières demeures. Son coeur bat la chamade. Sa propre existence, elle le sent, est suspendue à ces deux petits êtres. Dieu soit loué, elle retrouve ses voltigeurs charmeurs sur le tronc tourmentée d’ un vieux résineux. Le jardin est un vrai paradis. Pierres, lierres, lianes, haies entourent une quinzaine de bosquets où s’entremêlent astucieusement les essences. Çà et là quelques feuillus et conifères de belle taille veillent protecteurs. La façade de la demeure, une massive maison de maître, disparaît entièrement sous les charmilles d’une vigne vigoureuse. Une allée d’autobloquants lézarde paresseusement du perron d’entrée au portail d’accès sur lequel s’appuie sur la pointe des pied une Valérie qui chavire. Mon Dieu, ne t’éloigne pas de moi car l’épreuve m’accable… L’auteur de la création lui décoche de plein fouet dans le bide ce fameux crochet du droit qui terrasse les dragons, ça ne s’explique pas. Celui qui a la foi parle de conversion, libération, réconciliation. Celui qui ne l’a pas, n’en parle pas, hausse les épaules.
Deux oiseaux, deux anges, regardent cette fille qui s’effondre la bouche grande ouverte sur un cri muet. L’amour est triomphant.
C’est reparti, elle chiale…
Lui, c’est Vincent Zimmerman. Bibliothécaire de formation, historien par passion et traducteur. Il intervient dans le cadre d’expertises et travaille essentiellement pour des collectionneurs. Il gère de son domicile un petit commerce d’achat vente, philatélie, pièces anciennes, vieux manuscrits. Il a 42 ans on en lui donne 30. La vie ne l’a guère marqué. Il promène sa dégaine d’éternel étudiant ébaudi et rêveur avec une nonchalance insouciante. Dissimulé derrière de petits verres ronds façon John Lennon, s’efforçant de ne pas attirer l’attention, il observe le monde qui l’entoure en scrutateur attentif.
Vincent mène une vie dorée. Il en est conscient. Son père, ex industriel, ayant fait fructifier son capital dans l’investissement immobilier le laisse à la tête de quelques pavillons bien situés aux locataires très recommandables. Vincent est donc rentier. Un cabinet comptable le déleste moyennant un cachet confortable de toute la tracasserie administrative. Vincent observe cela avec humilité. Bien que menant une vie très sociale, il se complaît solitaire, le relationnel fusionnel reste un sujet où il fait figure de contemplatif distant, du fait on ne lui compte que très peu de vrais amis. Il n’est pas sur Facebook ! Ses parents ont quitté l’hexagone. Ils séjournent à présent toute l’année dans leur pied à terre marocain. Il aimeraient bien voir leur fils unique se marier et leur donner des petits enfants mais ce grand garçon est terriblement timide. Flirter, courtiser lui est chose impossible ! Il n’est pas de taille, « elles » sont inaccessibles. Du fait, la seule fille que Vincent ose côtoyer avec presque assiduité est cette pauvre femme de la rue des clefs.
Quand il l’a vue la première fois peu avant Noël, il s’est demandé ce qu’elle faisait  là. Il l’a regardée, l’a observée, a essayé de la décrypter. Souvent les demandeurs d’aumônes ont un parcours qui marquent leur visage : rides, poches, plis soucieux, peau froissée, usée, grêlée, ravagée, cheveux mal entretenus, gras, broussailleux, ensauvagés, l’oeil fuyant… Rien de tout cela chez elle. Elle semble ne pas être. Son invisibilité lui plaît : elle regarde la foule qui ne la regarde pas.
Fin décembre, malmenant sa timidité naturelle, il s’est assit à ses côtés, ineffable et attentif. Que dire ? Il s’est contenté de partager un sujet passionnel, les oiseaux ! Elle s’est prêtée au jeu. Il est revenu le lendemain, puis le surlendemain et ainsi de suite chaque matin. Aujourd’hui il voulait l’inviter à dîner ou boire un café, bref, il souhaitait l’inviter à partager un peu plus leur solitude. Elle lui plaît.
Il n’a pas osé brusquer la quintessence de cette amitié étrangement complice… Il aurait du. Il se sent un peu lâche. La peur d’être mal jugé l’a emporté. Quel empoté !
Il est confortablement installé à sa table de travail face aux deux ordinateurs constamment allumés qui lui bombardent mails, dossiers, copies, demandes
diverses, d’achat, vente, authentifications… Il feuillette distraitement une traduction biblique parcheminée, reliée et joliment gravée trouvée dans un grenier que l’on lui a déposée la veille.
La fenêtre est ouverte sur les cèdres, le pin sylvestre, le séquoia, l’épicéa. Son doigt souligne quelques phrasés jaunis… Ce qui fait le charme d’un homme c’est sa bonté… défends le malheureux et l’indigent… Une femme vertueuse ? Elle a bien plus de valeur que les perles…
Une légère trille capte son attention.
Il se lève et recherche l’auteur du chant. C’est un grimpereau des jardins qui s’égosille ainsi, un jeune mâle, ses tituti roïti sont destinés à madame.
Ah !!! La Saint Valentin il est vrai touche aussi le monde des passereaux !!!
Le couple s’adonne à ces courses poursuites autour de l’écorce tourmentée du pin qui caractérisent selon toute probabilité l’approche d’un accouplement rapide !
Vincent espère qu’ils choisiront pour la nidification l’un des recoins étroits et abrités qu’offrent les aspérités du grand séquoia ou l’enchevêtrement des lianes de la vignes vierge ! La densité du peuplement de cette espèce étant relativement faible il suit amusé l’ascension des tourtereaux ! On dit qu’ils peuvent visiter entre 200 et 300 arbres par jours, leur territoire est vaste, l’on dénombrerait, croit il se souvenir, 1 couple à l’hectare dans les meilleurs des cas.
Il n’a jamais eu l’occasion de voir un départ du nid. Il a lu dans ses vieux grimoires sur l’avifaune que les petits grimpereaux contrairement à leurs congénères ne s’élancent pas dans le vide mais arpentent instinctivement le tronc vers le haut… Le nid étant construit généralement entre 2 et 5 m du sol, ce doit être repérable… Il se souvient aussi que les parents peuvent abandonner couvée et oisillons s’ils sont trop dérangés. Il se promet d’être attentif et de fureter dès la fin mars afin de déceler une installation probable. Si nid il y a, nid il protégera ! En attendant, la boite d’approvisionnement en crins mousses et poils qui permettent des nids plus douillets est en place, c’est un bon indicateur de présence. Généralement ce sont surtout les mésanges qui s’y ruent.
Un mouvement sur la gauche détourne son attention. Une silhouette qui s’effondre. Le temps d’un instant tout s’arrête et se fige.
– Valérie ?
Le reste, vous vous en doutez, tenant du conte de fée plus que de la nouvelle, se termine forcément en beauté !
Vincent récupère Valérie, ils dînent ensemble, ils veillent discutant jusqu’à l’aube.
Elle s’installe dans la chambre d’amis, ils s’apprivoisent, s’amourachent, se marient, s’aiment tendrement et à défaut d’avoir de nombreux enfants gardent durant toute leur vie une vraie passion pour les grimpereaux charmants. Nos passereaux ne furent ils pas dans cette histoire (avec un certain petit bonhomme rondouillard et un vieux capucin) les petits soldats du bon Dieu ?!
Est il moralité à tirer de cette histoire ?
Je ne crois pas que nos dirigeants puissent nous mener paître sur les chemins du bonheur. Les bergers, leaders businessmen’s de ce monde, plus enclins à amasser gains et pouvoirs qu’à ménager notre confort semblent nous destiner pour 2014 à des près toujours plus secs, toujours plus salés.
Résultat : les drames seront autour de nous de plus en plus nombreux.
Positivisme dans tout ça : nos vies, sous le joug de nos exploitants, sont pleines d’ébauches de contes modernes.
A nous d’en faire les délices de nos quotidiens.
Je nous souhaite pour cette année 2014 d’être le plus souvent possible les petits coups de baguettes magiques qui permettent à l’autre d’aller mieux !
A très bientôt ! (le prochain conte sera une fable consacré au loup de Mulbach!)
Echo des terriers Janvier 2014
Fait à Sondernach le 25 janvier
Pascal !