Il était une fois, dans le ciel, un ange mauvais de coeur, un ange qui sans répit semait le trouble autour de lui, chérubin rebelle, querelleur et piaffeur. Ses pairs, usés de devoir supporter son « hyperactivité » malfaisante n’avaient qu’une hâte : retrouver la paix qui était leur, avant que celui ci ne vienne. L’ange félon fut chassé du ciel, jeté sur la terre, et bien mal nous en pris…
Bonimenteur de talent, ce démon aurait pu être avocat, chef de ventes, président, un excellent présentateur de météo à la radio. Mais ce tourmenteur avait d’autres vues.
Il connaissait les hommes, savait tout de leur fragilité au partage, n’ignorait rien des bas instincts de convoitise qui les piégeaient. Comme il souhaitait les gouverner, il s’intéressa de très près à leurs désirs. Il devint politicien. Un très, très grand politicien. Jamais il n’y eut, en vérité, de par le monde, un tel politicien !
Et en très peu de temps, il fut le leader de la terre. Ce mauvais diable – en est il un bon ?! – visita toutes les régions du monde. Il écouta patiemment les attentes des peuples
rencontrés, se plut à exaucer chacune de leurs doléances, se délectant de ce que tout cela pouvait laisser déjà prévoir.
Il privilégiait les meeting, les grands rassemblements.
On y clamait son nom, on le louait, et ça vraiment, il adorait !
Un beau jour, ce fut le tour de l’Alsace et des Vosges, après un long discours, il invita ses convoités sujets à exposer leurs voeux.
Trop heureux d’être écoutés, chacun voulut parler. L’on entendit d’abord les représentants d’un groupe de chasseurs et d’éleveurs. Ils s’étaient entendus, armés de fourches, faux, bâtons, fusils.
Ils s’écrièrent d’une seule voix :
« O prince du monde, débarrasse nous des loups ! Ils menacent nos campagnes ! Ces fléaux de soixante kilos qui hantent nos sommets s’apprêtent à dévaler les sentes de nos vallées. Laisseras tu le sang de nos moutons couler dans nos sillons ? Attendras tu qu’à cette supplique s’ajoute nos colères ? A coup sûr, s’ils subsistent, nous nous retrouverons, tôt ou tard, toi et nous, devant le corps sans vie d’un enfant égorgé, d’une compagne égarée, en partie dévorée… »
L’ange mauvais qu’amusait la tournure des phrasés, flatté par l’appellation choisie, feignit la surdité ! Il se fit par pur plaisir une seconde fois prier, puis les loups furent enlevés de la surface de la terre.
Voyant ce désir exaucé, les éleveurs ajoutèrent vite tout ce qui est puant et non rentable, qui gobe les oeufs, vole les poules, retourne la terre et pâture de façon éhontée ce qui n’est plus à eux depuis qu’existe l’impôt foncier. Renards, fouines, martres, blaireaux, campagnols, sangliers, cervidés, tout cela fut listé pour être exterminé.
Les jardiniers plébiscitèrent cet inespéré génie !
« Anéantit aussi les chats, O roi des rois, il grattent nos plates bandes, ils déterrent nos semences, défèquent sur nos plants leurs matières innommables ! Ils croquent nos mésanges qui de leurs chants joyeux égaient nos beaux jardins ! »
Ainsi fut fait, et l’on ne vit plus l’ombre d’un chat sur terre.
Puis vinrent les arboriculteurs et les buveurs de schnaps :
« Débarrassent nous de ces piaffeurs qui dévorent nos bourgeons, par la même occasion n’ai point pitié des insectes nuisibles, ils rendent malades nos arbres ! Nous t’en prions, Gloire à toi, hosanna… et Alléluia !»
Les mésanges et autres passereaux qui picoraient les arbres, les insectes qui y nichaient, tous furent détruits.
Ah vraiment, l’on acclamait cet enchanteur et sa divine sagesse. Notre usurpateur qui en riait aux larmes était aux anges !
Tous ceux qui se croient allergiques au pollen enchaînèrent :
« Nous t’en prions, O divin maître, enlève aussi les arbres, les fleurs et les plantes afin qu’enfin nous puissions librement respirer le bon air frais des Vosges ! »
Tout ce qui poussait et qui était végétal, arbres et plantes, fut déplanté, réduit, broyé en fine poussière de bois.
Cela continua, des jours, des semaines, des mois.
Chacun s’exprima et l’on ne cessait plus de psalmodier des louanges à l’attention de l’ange !
Alors vint un matin où n’ayant plus d’animaux, de minéraux ou de végétaux sur quoi se satisfaire, les hommes se retournèrent les uns contre les autres. Les riches se débarrassèrent des pauvres qui leur coûtaient trop cher à entretenir ! Les affamés appelèrent l’extermination des nantis qui se gardaient bien de partager le meilleur de leur pain. Les anti-écologistes se débarrassèrent des antinucléaires, et vice versa. L’on continua de s’anéantir mutuellement, dans la joie et la bonne humeur, chacun se débarrassa de son voisin !
Un matin, s’éveillant sous une aube sans lune, ni soleil, l’un dérangeant les dormeurs, l’autre les noceurs, un homme s’éveilla de lui même : il n’y avait plus ni de coq, ni de réveille matin.
Cet homme découvrit qu’il était seul sur la terre ! Elle lévitait dans un ciel désespérément vide, elle ne tournoyait plus dans l’espace. Elle était devenue un gros caillou tout nu, tout gris, figé.
« Salut Petit Prince ! » s’inclina, moqueur, le démon, vers ce dernier sujet. L’ange regardait satisfait ce qui restait de ce beau joyau qu’avait été autrefois la terre. Quel travail ! Quel bel ouvrage ! Quelle réussite ! De la jolie planète bleue dentelée de nuages qui tournoyait naguère, il ne restait plus rien. Le grand muséum d’histoire naturelle que le bon Dieu avait si généreusement conçu et offert aux hommes, n’était plus !
« Je n’ai plus grand chose à faire ici ! » rigola goguenard l’ange déchu. Quittant l’homme et son globe, il alla rôder ailleurs voir s’il n’était autre lieu planétaire à dévaster. Satan prit congé.
L’homme le regarda disparaître. A présent qu’il était abandonné, il pleura sur son triste sort. Devait il s’arracher les cheveux, se labourer les joues ? Se couvrir de sacs de cendre ? Se lamenter ?
L’homme s’agenouilla, scruta au dedans de sa mémoire, médita sur le mot lamenter. Ce mot lui évoquait quelque chose… Un mur ! C’est ça ! Le mur des lamentations Il se souvint vaguement qu’il y avait eu un vrai Dieu et un livre ! Que disait donc ce livre ?  Si au moins il pouvait se souvenir d’un phrasé ! Peut être qu’un
seul phrasé suffirait à le sauver ?!
« Petit prince ! » l’ avait appelé le Diable… Alors il se souvint !
Levant haut les paumes de ses mains vers l’espace, il s’écria :
«…Dessine moi un mouton !!! »
Vous connaissez le reste de l’histoire…
« Apprivoise moi », dit le Renard,
ce proche parent du loup !