Petite histoire du suivi de dossiers par des citoyens bénévoles qui souhaitent alerter sur les nuisances environnementales : ici l’exemple du Ball trap de Biesheim près de Colmar, qui provoque une pollution de l’eau par des tonnes de plomb.

 

1er acteur : le lanceur d’alerte

Juin 2022, un lanceur d’alerte excédé par les nuisances sonores du ball trap, motivé dans un premier temps par un intérêt particulier, soulève par son investigation une vraie question d’intérêt général. Son enquête, que nous estimons crédible, révèle que, depuis les 40 ans d’activités de ce Ball trap, ce sont entre 30 à 60 tonnes de grenaille de plomb qui ont atterri sur le terrain de cette ancienne déchetterie de Biesheim.
Il en informe le maire de Biesheim qui ne donne aucune suite.
Un article est publié dans la presse locale ,évocateur : « le ball-trap a du plomb dans l’aile »

 

2e et 3e acteurs : Alsace Nature et APRONA

Il prend contact avec le groupe local d’Alsace Nature. Nous échangeons des informations avec l’Aprona dont une des 2 missions est la mesure de la qualité des eaux de la nappe qui coule à quelques mètres sous le site.
l’Aprona nous apprend que les mesures du plomb dans les aires de captage en aval sont inférieures aux normes : l’eau potable captée en aval n’est donc pas polluée par le plomb : rassurant.

Cependant l’Aprona précise « les données disponibles sont largement insuffisantes pour permettre d’évaluer le niveau de présence éventuel du plomb sur la nappe à proximité du Ball trap. Les mécanismes de transferts de ces composés du sol vers la nappe (dissolution dans l’eau notamment pour le plomb) vont aussi dépendre de leur comportement dans le sol, en fonction de sa nature et de ses caractéristiques physico-chimiques (pH). »

« L’analyse d’un seul point paraît insuffisante. Il faudrait analyser tous les points susceptibles d’apporter des informations. Des analyses de sols seraient également à réaliser pour comparer les matrices sol et eau. »

« l’APRONA ne dispose pas de fonds propres pour réaliser des analyses aléatoires en cas de sollicitation »

L’Aprona nous indique que c’est au pollueur potentiel de faire réaliser à ses frais les mesures des polluants dans l’eau de la nappe (c’est la règle pour les sites industriels)

En résumé : ignorance sur la qualité de l’eau en aval immédiat du site.

Questions connexes et techniques : toxicité du plomb, dissolution du plomb dans le sol, potabilité de l’eau polluée au plomb : risque de santé publique. L’impact essentiel concerne ici les enfants. Boire occasionnellement une eau dépassant la norme est sans conséquences médicales pour l’enfant, sauf en cas de concentration très extrême. En revanche, c’est l’exposition de longue durée (c’est-à-dire durant plusieurs années) à une eau non conforme qui peut poser un problème, principalement en termes de développement intellectuel.

Selon carte fournie par l’Aprona:  Point rouge : localisation du Ball trap, près du canal du Rhône au Rhin.  En jaune : aire de captage eau ; ….139/F Piézomètre :   Plomb : 1 seule mesure en 2009, inférieure à la limite de potabilité (nombre de mesures insuffisants pour caractériser la qualité de l’eau au regard du plomb).

 

4e acteur l’Etat ou le Préfet : doit garantir la qualité de l’eau potable et préserver sa potabilité par des mesures préventives.

Alsace Nature  a fait un courrier au Préfet en décembre 2022 lui demandant de vérifier la présence de plomb dans le sol et l’eau de la nappe.
En janvier 2023, une réponse incroyable par la voix du Directeur des territoires nous est donnée : si nous voulons savoir si l’eau est polluée, c’est à nous de trouver le financement auprès de l’Agence de l’eau . Ce que nous traduisons brièvement par « lanceur d’alerte -payeur » ou « circuler, rien à voir, votre question n’est pas pertinente »

La préfecture n’aborde à aucun moment dans sa réponse, la vérification de la réalité des investigations menées par le lanceur d’alerte, ni une quelconque information sur le risque possible de pollution (vérification sur d’autres sites en France  etc..).  Est-ce à nous de faire son travail ?

La charte de l’environnement en France (2004)

Article 5. – Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage.

Et encore dans la jurisprudence

« Les cartouches de chasse et de ball-trap une fois tirées, doivent être assimilées à des déchets abandonnés et les personnes à l’origine de leur abandon sont responsables de leur élimination dans les filières appropriées au titre de l’article L. 541-2 du code de l’environnement. Il revient au maire de mettre en œuvre cette police des déchets conformément à la législation en vigueur ».

 

6e acteur , 7e et 8e  acteurs : le Maire de Biesheim, le collectif local et la presse

Courant janvier 2023, nous avons appris par la presse locale qu’un compromis a été trouvé, pour dépolluer le site en décapant 20 à 30cm de sol. C’est une reconnaissance que la pollution du sol par le plomb existe bien.
Cependant l’article ne communique ni la quantité (30 à 60 tonnes ? (ce n’est pas négligeable) ni le risque, s’il existe, de la pollution de l’eau, ni sur la méthodologie de la dépollution.

On évacue tant bien que mal le problème par la mise sous le tapis. Avec l’accord de l’Etat ?

 

Morale de l’histoire

S’il n’y avait pas eu le lanceur d’alerte initial et le travail des bénévoles d’Alsace Nature, cette pollution serait restée méconnue et non traitée. Il serait bien que ces actions citoyennes soient enfin reconnues à leur juste valeur par les responsables politiques, la presse et l’opinion publique.