Prenez le temps de lire cette lettre ouverte et découvrez comment EDF tente de jouer avec la sécurité pour extorquer aux contribuables quelques centaines de millions € supplémentaires.
 

Monsieur le Président,
Le réacteur n°2 de la centrale nucléaire de Fessenheim a été mis à l’arrêt par EDF le 13 juin 2016, il y a bientôt 21 mois, et pourra être considéré en arrêt définitif au bout de 2 années d’inactivité, soit dans trois mois, le 13 juin 2018.
Depuis lors, par décision CODEP-CLG-2016-029245 du 18 juillet 2016, vous avez suspendu le certificat d’épreuve du générateur de vapeur n° 335 fabriqué par AREVA NP, considérant (entre autres) «… que l’Autorité de sûreté nucléaire n’aurait pas délivré le certificat d’épreuve du 1er février 2012 susvisé si l’information relative à cette non-conformité avait été portée à sa connaissance et qu’AREVA NP n’avait pas apporté de justification particulière ».
Ainsi, durant plus de quatre années votre Autorité a été délibérément trompée par l’un des acteurs de la chaîne nucléaire, AREVA NP. Quant à l’exploitant EDF, il a pour sa part tardé à vous livrer les éléments dont il disposait au regard de la virole basse de ce générateur de vapeur et a continué d’exploiter ce réacteur quelques semaines (en mai et juin 2016) après avoir été informé de la falsification.
Ces graves manques de rigueur de la chaîne nucléaire (fabrication de composants, contrôle de l’ASN, alerte de l’exploitant) ont placé en grand danger les populations d’Alsace et de tout le Rhin Supérieur durant plus de quatre années.
Fort heureusement, l’accident imparable et ingérable qu’aurait constitué la rupture de ce GV, n’a pas eu lieu !
La gravité de la situation a conduit les associations Greenpeace, Réseau Sortir du Nucléaire, France Nature Environnement, ainsi que quatre des associations soussignées (Alsace Nature, Stop Transports-Halte au Nucléaire, Stop Fessenheim et le Comité pour la Sauvegarde de Fessenheim et de la plaine du Rhin) à déposer plainte contre AREVA NP, Electricité de France (EDF) et contre X. L’enquête est encore en cours.
Pour votre part, vous avez également signalé la gravité des faits à la Justice et, par vos déclarations sous serment devant l’OPESCT, vous avez évoqué – prudemment mais fermement – l’analogie des faits à des falsifications. Et, devant la même instance, vous avez interrogé la procédure de la chaîne de contrôle, au cœur de laquelle l’ASN tient évidemment un rôle primordial.
Lors de la dernière réunion de la CLIS de Fessenheim, le 28 novembre 2017, le Chef de Division de l’ASN de Strasbourg Monsieur Pierre BOIS avait annoncé à l’Assemblée que le dossier de ce générateur de vapeur n°335 est en cours d’examen par l’ASN et qu’il a été transmis à l’IRSN pour contrôle. Il indiquait alors également à la CLIS que le GPESPN (Groupe Permanent d’Experts pour les Equipements sous Pression Nucléaires) allait en examiner les conclusions, puis que des modalités d’information du public seraient définies en association étroite avec la CLIS.
Monsieur Pierre BOIS, en réponse à un mail de notre part, nous a fait savoir que le GPESPN allait se réunir le 27 février 2018. Cette réunion a effectivement eu lieu, comme le confirme un communiqué de l’Agence MONTEL qui indique que « selon une source proche du dossier, les experts se seraient orientés vers une solution positive ».
Et la même agence indique que l’un des membres de ce groupe d’experts « a fait valoir mardi, auprès de la présidence du groupe, un droit de retrait dans son rôle d’expert au sein du GPESPN, en ne participant pas à la rédaction de l’avis, jugeant que « la procédure de justification technique portait ”une atteinte grave et profondément regrettable” aux principes en matière de sûreté ».
Pour autant, nous restons très inquiets de la décision finale que vous pourrez prendre vous-même, Monsieur le Président Pierre-Franck CHEVET. Car, bien évidemment, vous portez une lourde, une très lourde responsabilité :
Allez-vous déclarer « conforme » un générateur de vapeur dont vous savez maintenant qu’il ne l’est pas ? En considérant qu’un GV, réalisé hors des standards de fabrication exigés, est quand même « bon pour le service », l’ASN renoncerait à ses propres « standards », perdrait de sa crédibilité, et créerait ainsi un dangereux précédant ; comment refuser ultérieurement d’autres GV dont les masselottes n’auraient pas été chutées, ou d’autres composants non conformes ?
Allez-vous entrer dans le jeu bassement financier d’EDF qui a pour seule perspective, dans cette affaire, de remettre en marche le réacteur n° 2 de Fessenheim pour valider son concept de « fermeture anticipée » d’une centrale prétendument « en pleine production et la plus sûre de France » et ainsi tenter d’engranger 490 M€ d’argent public (plus une indemnité supplémentaire avec une échéance quasi surréaliste : 2041)… au mépris de l’intérêt majeur qui est bien de votre responsabilité : la sécurité des populations ?
Allez-vous prendre une telle décision « technique » sans considérer que court simultanément une procédure « juridique » ? Quelle sera votre ligne de conduite au sens de « l’éthique » ?
Nous tenons à rappeler solennellement que ce générateur de vapeur fait partie des composants relevant des exigences dites de « l’exclusion de rupture ». En conséquence, il aurait dû faire l’objet d’un retrait pur et simple de son agrément et non pas d’une simple « suspension ».
Un redémarrage consécutif à des considérations autres que cette « exclusion de rupture », telle qu’annoncée à l’enquête d’utilité publique initiale, relèverait d’une modification substantielle. Aussi, dans cette hypothèse, une nouvelle enquête d’utilité publique devrait constituer un préalable à toute autorisation de redémarrage. Nous n’hésiterions pas à en saisir la Justice en tant que de besoin.
Un tel redémarrage serait d’ailleurs totalement incompréhensible, y compris pour l’opinion publique, lorsque l’on sait que le Gouvernement a acté le principe de la mise en arrêt définitif prochaine de la centrale nucléaire de Fessenheim et que Monsieur le secrétaire d’Etat Sébastien LECORNU s’est déplacé trois jours en Alsace (en décembre) afin de lancer une dynamique pour le devenir économique des territoires concernés !
Aussi, Monsieur le Président, nous espérons très fermement que vous aurez la volonté de commuer l’arrêt provisoire actuel du réacteur n°2 de Fessenheim en une décision de mise en arrêt définitif.
Vous laisserez ainsi la marque d’une ASN que vous aurez conduite, jusqu’au terme annoncé de votre mandat, dans la volonté de garantir avant toute autre considération la sécurité des populations et de ne pas céder aux visées bassement économiques et court-termistes, d’un exploitant dont l’activité nucléaire est en déclin, et qui peine à envisager sa conversion.
Nous espérons que vous nous apporterez une réponse très prochaine, antérieurement à toute décision.
Dans sa présentation devant la CLIS le 28 novembre, Monsieur Pierre BOIS écrivait « les modalités d’information du public restent à définir mais prévoiront dans tous les cas d’associer la CLIS ». Au vu de l’ampleur du risque, nous considérons que toute hypothèse de requalification de ce générateur de vapeur imposerait, avant toute décision irréversible :
1) une réunion publique de la CLIS ; nous espérons que vous saurez l’obtenir de la part de Monsieur le Président de la CLIS, Michel HABIG, (qui ne répond en ce sens ni aux sollicitations de Monsieur Pierre BOIS, ni aux nôtres).
2) un dossier mis en consultation publique durant 3 mois, comme vous l’aviez fait pour le fond de cuve et le couvercle de l’EPR et ceci quand bien même, au bout de ce délai, le réacteur n° 2 pourrait être mis en arrêt définitif de plein droit du fait qu’il aurait entretemps atteint 2 années d’inactivité.
Car, de tout ce qui précède, c’est la sécurité des populations qui nous importe !
Comme indiqué plus haut, nous rendons cette correspondance publique et ne manquerons pas de publier largement votre réponse.
Nous vous prions de croire, Monsieur le Président, en nos sincères salutations.
Jean-Jacques RETTIG – Président du Comité pour la Sauvegarde de Fessenheim et de la plaine du Rhin (CSFR)
Rémi VERDET – Président de l’association Stop Transports – Halte au Nucléaire
André HATZ – Président de l’association Stop Fessenheim
Lucien JENNY –  Collectif Les Citoyens Vigilants des environs de Fessenheim
Jean-Paul LACÔTE – Membre du C.A. de la fédération Alsace Nature et France Nature Environnement
Membre de la CLIS de Fessenheim
Vice président de l’ANCCLI
Membre du Haut Comité pour la Transparence et l’information sur la Sécurité Nucléaire
Au nom des associations réunies,
André Hatz – Président de l’Association Stop Fessenheim